dimanche 20 novembre 2011

La rencontre

La ville lui offrait son ciel démesurément bleu. Pas un nuage à l’horizon, où qu’il regardât. C’est cette image de Séville qu’il reçut en premier, même si depuis le taxi qui l’emmenait de l’aéroport à son hôtel, il vit une banlieue ressemblant à beaucoup d’autres, faite d’immeubles tristes et de panneaux publicitaires gigantesques. L’hôtel se trouvait près d’Alameda de Hercules, une grande place en travaux, déserte en ce début d’après-midi. A la réception, on lui remit la clef de sa chambre après lui avoir demandé de payer les six nuits qu’il avait réservées par téléphone deux semaines plus tôt, au nom de Stéphane Launier.
Si son passeport indiquait bien ce nom, ce n’était pas sa véritable identité. Il n’était jamais venu dans cet hôtel mais il correspondait exactement à ce qu’il voulait : en ville mais pas dans le centre, calme et propre. Les chambres étaient disposées sur deux étages et donnaient toutes sur un grand patio intérieur qui servait de salle de restaurant. Son logement était sombre mais il préférait garder les volets fermés. Il comprenait une chambre, une salle de bain et une autre grande pièce où il y avait un canapé, une table basse, une télévision, une table pour manger, quatre chaises et un coin cuisine avec four à micro-ondes, plaques chauffantes, évier, et réfrigérateur. Parfait pour lui. Il n’aurait pas à sortir pour manger. Il prit une douche puis rangea soigneusement ses affaires dans le placard de la chambre. Connaissant les habitudes espagnoles, il se dit qu’il n’allait pas sortir avant 17.00, même s’il avait faim, alors il s’allongea sur le lit et fit une sieste de presque deux heures.
C’est seulement en fin d’après-midi que la ville commence à s’animer. Il quitta l’hôtel alors qu’il était bientôt 18h00 et se dirigea à pieds vers le centre, empruntant la rue Trajano jusqu’à la place Del Duque de la Victoria où il acheta au Corte Inglés un paquet de biscuits qu’il dévora le long du chemin qu’il prit et qui l’emmena jusqu’au fleuve. Il marcha une bonne heure, passant par la rue Tetuan qu’il quitta pour filer sur sa droite dans une série de petites artères inanimées, jusqu’au fleuve. Il prit le pont Isabel II, s’arrêta un instant au milieu et regarda l’eau sombre s’écouler lentement. Il reprit sa route jusqu’à la rue Betis échouant à la terrasse d’un des nombreux troquets qui siégeaient là. Il commanda une bière et attendit, attentif aux gens qui se baignaient ou faisaient du kayak juste en dessous de lui. La rue Betis longe le fleuve et marque l’entrée de Triana, un quartier de la ville célèbre pour ses rues gitanes. Il n’était pas là pour faire du tourisme mais il avait lu plusieurs fois beaucoup des pages du guide qu’il avait acheté à Paris. Il venait à Séville pour la première fois et il avait besoin de la connaître quand même. Il n’attendit pas longtemps. La femme qui s’assit à côté de lui était brune et mate de peau. Elle s’adressa à lui en français :
- Je suis Elena et vous allez venir avec moi pour que je vous remette le matériel.
- D’accord.
Elle se leva mais il ne la suivit pas. Elle se retourna et l’interrogea du regard.
- C’est mieux si je finis ma bière, dit-il. Surtout que je ne l’ai pas encore payé.
Elle acquiesça d’un signe de tête et se rassit. Le serveur s’approcha d’eux et elle commanda aussi une bière qu’il apporta très vite.
- C’est ma première fois à Séville, dit-il.
- Vous savez pourquoi cette rue est la calle Betis ?
- A cause de l’équipe de foot ?
- Non, mais le nom de l’équipe de foot vient aussi de là.
- Alors je ne sais pas.
- Les Romains appelaient le fleuve : "Baetis"...
Il la regarda attentivement. Elle ressemblait au portrait qu'il s'était fait et en fut surpris. Il imaginait toujours physiquement les personnes avec lesquelles il allait devoir travailler et se trompait régulièrement. Pas cette fois.
- Vous êtes de Séville ? demanda t-il.
- Non. Je suis italienne.
- Et votre vrai nom, c'est quoi ?
Elle sourit et ne répondit pas. Il sourit à son tour. Il prenait son temps pour finir sa bière.
- Vous avez ce que j'ai demandé ?
- Tout est conforme à vos instructions. Vous en avez encore pour longtemps ?
- On y va si vous voulez, dit-il.
Elle se leva. Elle était petite et mince. Il pouvait voir qu'elle était en forme, ce qui le rassura. Il laissa quelques pièces sur la table et se leva également. Il remit sa veste et la suivit.
- Vous avez mis trop d'argent, dit-elle.
- Toujours laisser un bon pourboire.
- Ne jamais se faire remarquer.
- Je ne suis pas le code à la lettre.
- Et bien... vous devriez. Parce qu'on est professionnels...
Elle l'entraîna le long du fleuve, en silence. De l'autre côté il vit des hommes ôter quelques vêtements et se mettre à l'eau. D'autres sur la berge prenaient des photos. Une petite fille à vélo le frôla et leva la main pour s'excuser. Il ne se retourna pas. Elena marchait vite. Ils passèrent par un dédale de rues pavées, Elena ne ralentissait pas l'allure. De temps en temps elle se retournait pour voir s'il suivait encore.
- C'est le quartier gitan ? demanda t-il.
- Quoi ? Elle s'arrêta.
- C'est le quartier gitan ?
- Je ne sais pas. Je ne suis pas d'ici.
Ils marchèrent encore une demi-heure avant qu'Elena ne franchisse l'entrée d'un petit immeuble en béton jaune pâle de trois étages. Il regarda autour avant d'entrer. Il prirent aussitôt l'escalier jusqu'au troisième. Elle frappa deux coups brefs, attendit cinq secondes puis refrappa une fois. La porte s'ouvrit et il vit apparaître le visage souriant d'une femme qu'il ne connaissait pas. Elle tira la porte et s'effaça pour les laisser passer. L'appartement était vieux, sentait la poussière, les meubles paraissaient au-delà de la fin de parcours. Les volets étaient tirés, presqu'aucune lumière n'entrait. Elena s'approcha du lit et tira une longue caisse en bois cachée sous le sommier.
- C'est pour toi, lui dit-elle.
Il savait ce qu'il trouverait à l'intérieur. L'autre femme n'avait pas encore dit un mot. Elle se tenait debout près de la fenêtre et jetait des coups d'oeil dans la rue. Il se demanda ce qu'elle pouvait bien voir avec les volets fermés.
- On attend encore quelqu'un ? demanda t-il.
La femme sourit. Elena les regarda l'un après l'autre mais ne dit rien. Il s'accroupit devant la caisse et l'ouvrit. Une odeur de graisse et d'huile s'en dégagea. Il retira les chiffons qui recouvraient l'appareil. Il tourna la tête vers Elena.
- C'est bien celui que vous aviez exigé ? demanda t-elle.
- On dirait.
Il passa la main sur le métal froid et se frotta les doigts avant de les approcher de son nez.
- C'est son parfum, ajouta t-il.
Il sortit le fusil de la caisse et entreprit un rapide examen de chaque pièce.
- L'une de vous l'a essayé ?
Elles firent non de la tête en même temps.
- Où peut-on aller pour ça ?
- Je te montrerai, dit Elena.
Il rangea le fusil, soupesa la caisse puis la remit sous le lit.
- Je vous signe un reçu ?
Elles ne comprirent pas la blague. Il haussa les épaules et marcha vers la porte. Avant de sortir il se retourna vers Elena et dit :
- Demain, deuxième endroit, neuf heures ?
- Comme prévu, dit-elle
Il sortit sans prononcer un autre mot.

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