mercredi 28 mars 2012

La fuite

Elena l'attendait dans une Seat Cordoba blanche.
- A l'hôtel, dit-il après avoir pris place à ses côtés.
Elle conduisit calmement jusqu'au Patio de la Cartuja, sans lui poser la moindre question. Il n'aurait pas aimé qu'il en fut autrement. Devant l'hôtel, elle lui tendit les clefs d'une autre voiture.
- Fiat Tempra bleue, juste devant, fit-elle.
Il prit les clefs, descendit de la voiture et entra dans l'hôtel. Ses affaires étaient déjà prêtes mais il ne quitterait pas officiellement le Patio de la Cartuja. La police allait certainement demander les noms de toutes les personnes ayant quitté les hôtels de la ville aujourd'hui pour les recouper avec ceux des voyageurs arrivés par avion depuis quelques jours. Il prit une douche, mit de nouveaux vêtements achetés la veille de son arrivée, alluma un nouveau téléphone et sortit. Il ne reviendrait pas. Les employés découvriraient des affaires abandonnées le jour où il aurait dû quitter l'hôtel. Les papiers avec lesquels il était entré dans le pays avaient été brûlés la veille. Il s'installa au volant de la Fiat Tempra garée dans la rue du Patio. Il pesta contre Elena car c'était un mauvais emplacement, un employé de l'hôtel aurait pu remarquer le modèle de la voiture. Son nouveau téléphone vibra au fond de sa poche. Une seule personne connaissait ce numéro.
- Oui Elena ?
- Ce n'était pas Lazzarini.
- Quoi ?
- Ce n'était pas Lazzarini. Tu dois venir à l'appartement. Maintenant.
- Quel appartement ?
- A Triana. Vite.
Elle coupa. Il posa la tête sur le siège. C'était Lazzarini. Forcément. Il ne voulait pas passer par leur appartement de Triana. Il devait démarrer et aller au Portugal prendre un avion pour Paris, comme prévu. Il gara la voiture près du pont Isabel II et fit le reste du trajet à pied. Le Guadalquivir semblait toujours aussi immobile et la Calle Betis s'animait en cette fin de matinée. Le bar où il avait rencontré Elena la première fois venait d'ouvrir, le même serveur était en train de placer les tables et les chaises sur la terrasse. Il ne s'arrêta pas et rejoignit Triana d'un bon pas. Il arriva devant l'immeuble, vérifia que son Glock était en position dans son holster dorsal et entra. Il prit l'escalier jusqu'au troisième étage et frappa à la porte de l'appartement dans lequel il était deux jours plus tôt. Elena lui ouvrit aussitôt et le laissa passer. Il avança jusqu'à la fenêtre et regarda dans la rue puis se tourna vers elle.
- Raconte-moi.
Elle s'approcha de lui et regarda aussi par la fenêtre. Il fit comme elle et comprit trop tard son erreur. Il sentit le canon de l'arme sur sa nuque juste avant d'en entendre le bruit. Il s'écroula sur le dos et vit celle qui ne lui avait jamais adressé la parole le regarder en souriant, l'arme à la main. Sa dernière pensée fut qu'il ne savait même pas comment elle s'appelait.

mardi 14 février 2012

L'approche

Il vit Lazzarini descendre de l'avion et prendre place directement à l'arrière d'une Maibach qui attendait sur le tarmac. Elena se tenait près de lui, en silence.
- J'ai besoin d'une voiture, dit-il. La plus passe partout possible, Seat, Peugeot, peu importe, grise, pas trop neuve, par trop vieille. Pas de location, pas une volée non plus bien sûr.
- Tu l'auras cet après-midi. Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
- Je rentre à l'hôtel.
Il attendit dans sa chambre que la nuit tombe. Il visualisa mentalement son approche même s'il savait que dans la réalité de l'action, rien ou presque ne se passerait exactement comme il l'avait envisagé. Néanmoins, l'exercice mental de la visualisation lui permettait d'être prêt au bon moment. Il se repassa le film de ce qui ne serait pas, une bonne centaine de fois. Il sortit peu après deux heures du matin et marcha jusqu'au centre ville. Séville n'est jamais complètement déserte même au milieu de la nuit. Il passa près d'un homme promenant un chien et dépassa un couple visiblement ivre. Devant un vieux bâtiment trois jeunes types le regardèrent avec insistance mais il refusa de croiser leur regard, il avait autre chose faire ce soir que risquer une démonstration de son art du combat à mains nus. Il arriva devant l'immeuble dans lequel Lazzarini était censé dormir. Troisième étage, aucune lumière. Il s'engouffra dans l'immeuble d'en face, grimpa au troisième et entra dans l'appartement plongé dans le noir. Il n'alluma aucune lumière et se dirigea directement vers la fenêtre. Au pied, la caisse en bois l'attendait. Il l'ouvrit et commença l'assemblage. Chaque élément s'ajustait. Il aimait ce moment. Il lui fallut moins de cinq minutes pour que l'arme soit prête. Il avait encore au moins trois heures à attendre.
La lumière du jour envahissait peu à peu la pièce. Il était en place, le rideau légèrement décalé par rapport à l'axe de la fenêtre. Il avait découpé un morceau de la vitre. A l'heure prévue le rideau de la fenêtre d'en face s'ouvrit. Il avait une vue parfaite sur le salon. Il voyait trois hommes assis autour d'une table noire. L'un d'entre eux était Giovanni Lazzarini. Il appuya sur la détente. La balle perfora la vitre et vint se loger dans l'arrière du crâne de sa cible. Il s'assura que celle-ci, après un très court instant, s'effondre sur la table de son petit-déjeuner. Il démonta l'arme au plus vite, essuya les traces et sortit.


lundi 6 février 2012

La cible

Giovanni Lazzarini ne voulait pas aller à Séville mais il n'avait pas vraiment le choix. Kolkharov avait été très clair : "si tu veux continuer de travailler, tu viens". Il avait soupiré et fait préparer le Learjet qu'il partageait avec ISC la société de son partenaire. En réalité le Learjet appartenait intégralement à ISC, Lazzarini n'avait rien à lui "officiellement". Tout était au nom de Svensson. Son partenaire.
Lazzarini n'aimait pas voyager. Il préférait rester dans sa maison de Lugano à gérer ses affaires à partir de quelques ordinateurs et téléphones. Il était dans la partie depuis si longtemps qu'il avait de l'expérience à revendre. Il vendait des armes depuis l'âge de quinze ans. Au début il servait de coursier pour des hommes de la 'Ndrangheta, livrant à la demande des pistolets aux numéros limés. Aujourd'hui loin de la Calabre, il avait pour clients des chefs d'Etats, des potentats locaux et des révolutionnaires ayant un peu les moyens de leurs ambitions. Il faisait attention à ne pas froisser les susceptibilités de ses différents acheteurs mais il lui arrivait de vendre à deux camps opposés sans qu'aucun ne sache vraiment à qui il achetait.
Kolkharov était l'un de ses hommes-clés pour le matériel russe, il devait donc prendre en compte ses atermoiements. Il irait à Séville mais pas tout seul.
- Oui ?
Anja répondit à la première sonnerie, écouta Lazzarini puis lui dit : "Je t'envoie Paul et Adam. Ils seront chez toi ce soir et ne te quitteront plus jusqu'à ton retour en Suisse."

lundi 2 janvier 2012

Le contrat

Il passa une partie de la nuit dehors. Il dîna tard dans un bar de Triana en regardant le FC Séville étriller l'Espanyol Barcelone. Il fallait faire attention aux supporters souvent enclins à manifester leur joie de manière pressante avec des chants particulièrement hostiles aux autres (supporters). Dans les rues de la ville, au milieu de la nuit, il pouvait sentir respirer Séville. De lentes inspirations régulières, comme si le sommeil des habitants venait par inadvertance cheminer jusqu'à lui. Il humait l'air d'une cité qu'il ne connaissait pas et à chaque pas, ou presque, il venait buter contre un sentiment léger de solitude. Sa solitude. Celle qu'il redoutait et désirait en même temps. Un mal nécessaire. Pour son travail il était toujours d'une précision et d'une méticulosité parfaite. Il passait du temps, beaucoup de temps à étudier chaque paramètre de son objectif. Il vérifiait les circonstances et le matériel en permanence. Il évaluait, estimait et calculait tous les angles possibles. Pas un détail ne devait lui échapper. C'était à ce prix qu'il savait pouvoir faire le meilleur ouvrage. Il avait dormi trois heures. Il lui en fallait parfois plus pour être parfaitement opérationnel. Chaque matin il pratiquait des exercices pour maintenir son corps en parfait état : deux cents pompes, cinq cents abdos puis à nouveau deux cents pompes. Son réveil musculaire s'accompagnait également de katas d'aïkido et de karaté maîtrisés depuis des années. Le matin la ville est presque éteinte, la plupart des commerces n'ouvrent pas avant 11h00, parfois c'est 17h00. Dans la rue Trajano, seuls les bars et restaurants sont ouverts. Il peut voir en terrasse quelques jeunes peut-être entre deux cours qui semblent s'ennuyer. Il se revoit à leur âge dans le troquet près du lycée, pendant les cours qu'il séchait allègrement avec Sebastian et Daniel. Aussi cette fille, une grande, très grande. Il a oublié son nom. Il marche encore un peu. Il va arriver en avance. Il se demande si Elena sera aussi là en avance. Il s'arrête devant une pharmacie. Ouverte. Il rentre et regarde dans les rayons s'il trouve ce qu'il cherche. Il ne trouve pas. Il ressort. Sans un mot. El Corte Inglés est encore fermé, il regarde les immenses téléviseurs en vitrine. Il reprend son chemin. Il va vraiment être en avance. Il la voit. Elle est déjà sur le pont et regarde le fleuve. Il n'est pas 9h00. Il n'est pas surpris. Il avance sur le pont et bien avant d'arriver près d'elle, elle se tourne vers lui et lui sourit. Elle porte un ensemble veste pantalon noirs, plutôt ajusté. A ses pieds un grand sac, noir également, en nylon, semblant plein.
- Prêt ? elle demande.
- Par où commence t-on ? il demande.
- Giovanni Lazzarini. Italien. Cinquante-deux ans. Il a vendu des armes à la terre entière et il...
- Je sais qui il est.
- Tu ne sais pas qu'il sera à Séville dans cinq jours. Lui-même ne le sait pas.
Elle lui tend un papier plié en deux. Il le déplie et lit : adrian.saban.5578@anisa.com